Le sceau de Gilles de Beauvau évêque de Nantes

Description analytique

Gilles de Beauvau était le petit neveu de Gabriel de Beauvau, son avant prédécesseur, et neveu de Gilles de la Baume le Blanc, son prédécesseur immédiat à Nantes.
Le père Champion , de la Compagnie de Jésus, nous le dépeint comme un prélat « charitable, attentif à maintenir le bon ordre dans son diocèse, détaché des choses de la terre et très adonné à l’oraison » .
Son long épiscopat, (de 1679 à 1717, soit 38 ans) fut une lutte incessante contre les Jansénistes, (doctrine de Jansénius, piété et morale austère, parfois pédantes), car Nantes était alors une place forte du jansénisme en Bretagne, qui avait investi le clergé, les curés, le séminaire et la faculté de théologie.
C’est dire les difficultés que les Jésuites eurent à affronter pour s’établir à Nantes, et ce n’est d’ailleurs que sur l’expresse injonction de Louis XIV que l’assemblée municipale leur accorda l’autorisation d’y exercer leur sacerdoce.
Cette opposition aux représentants de la Compagnie de Jésus avait été fomentée, en sous-main, d’après A. de la Borderie, par les oratoriens, (société de prêtres séculiers vivant en commun sans vœux), qui dirigeaient le collège Saint-Clément, où ils dispensaient des cours de philosophie et de théologie, et, qui, sans le proclamer étaient acquis au jansénisme.
A partir de la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, à Nantes, le jansénisme était étroitement lié à l’oratoire qui diffusait le queneslisme, (Pasquier Quesnel qui, à partir de 1694 passe pour le chef des jansénistes dont les 101 propositions extraites des réflexions morales sur le nouveau Testament furent proclamées comme hérétiques par le pape Clément XI, bulle unigenitus, 1713). C’est dans ce contexte que Gilles de Beauvau exerça son ministère.

Dans la 2e partie du XVIIe siècle, l’oratoire, associé au collège Saint-Clément, depuis 1625, eut un grand rôle dans la diffusion du quesneslisme.
Avec beaucoup de succès, puisqu’en 1669 on comptait vingt professeurs et mille deux cents élèves.
Monseigneur Gabriel de Beauvau avait fondé un séminaire en 1648, confié aux Sulpiciens, (membres de la compagnie des prêtres de Saint-Sulpice), jusqu’en 1660. A la réouverture de cette maison en 1669, l’oratoire fut confié à la communauté de Saint-Clément pour former les futurs prêtres. En 1673, le séminaire et la communauté furent unis.
L’oratoire assurant l’enseignement de la théologie. Gilles de Beauvau mit fin à cette union en 1685, et confia la direction du séminaire à Jean de la Noë-Ménard, prêtre « connu pour son austérité et auteur d’un cathéchisme reconnu » (P. Bois). Les opinions théologiques de M. de la Noë-Ménard nous sont connues dès la première parution de son cathéchisme, qui reçut l’approbation de Gilles de Beauvau et de Mgr d’Argouges, évêque de Vannes. (Ce dernier est encore plus explicite lorsqu’il affirme que ce cathéchisme est à son avis le plus capable « d’affermir dans les véritables maximes » de la vérité chrétienne les nombreux Protestants qui, au lendemain de l’Edit de Nantes, sont entrés « dans le sein de l’église ») (A. Bachelier).
Au début du XVIIIe siécle, Jean de la Noë-Menard fut séduit par les idées jansénistes, et Mgr de Beauvau lui reprocha d’être un « rigoriste, un homme d’une morale outrée » (Paul Bois).
En 1710, il le releva de ses fonctions, direction du cathéchisme et du séminaire.
Les Clercs de Saint-Clément, ainsi que ceux de l’oratoire adhérèrent au jansénisme, de même que les Bénédictins et les Jacobins.
Seuls restèrent orthodoxes les Jésuites et les Franciscains.
Le développement de deux tendances religieuses qui s’opposaient de plus en plus menaçaient de rompre l’unité religieuse du diocèse.
D’un côté l’oratoire, le séminaire et la communauté de Saint-Clément. de l’autre gilles de Beauvau, les Jésuites et les Franciscains qui tenaient à sauvegarder la doctrine qu’ils estimaient menacée.
« Le schisme était en germe » (A. Bachelier).

Le 23 janvier 1714, l’assemblée des évêques de France réunie à Paris, adhérait à la presque unanimité à l’acte du Saint-Siège.
Le 28 mars 1714, Gilles de Beauvau s’empressa de publier l’instruction et la bulle.
Lecture en fut faite à toutes les messes paroissiales et dans toutes les communautés séculières, (il y était interdit « à tous les fidèles d’enseigner, d’écrire, de parler » sur les propositions condamnées « sous peine d’excommunication, encourue par le seul fait ») (A. Bachelier).
Au mois de mai suivant, son procès de rupture avec le collège Saint-Clément l’amena à se rendre à Paris.
On lui fit comprendre que « le meilleur moyen de réussir dans son dessein était de proposer à sa faculté la réception de la constitution » (A. Bachelier).
Gilles de Beauvau écrivit au doyen du chapitre, ainsi qu’au directeur du séminaire et doyen de la faculté de théologie, leur demandant de faire recevoir la bulle à la dite faculté.
Le 15 mai, La bulle Unigenitus fut présentée à la faculté, le doyen du chapitre, M. de Vieuxville, fit lecture de l’acte d’acceptation de la faculté de théologie de Paris, et demanda aux docteurs nantais de suivre cet exemple de soumission.
C’est sur le conseil de leur sous-doyen, M. Fouré, « que les opposants s’appliquèrent à pallier, derrière une soumission apparente, leur réel refus d’obéissance » (A. Bachelier).
Le 1er septembre 1715, mourait Louis XIV.
C’est avec la complicité du Parlement, peuplé d’éléments jansénistes, que Philippe d’Orléans prit le pouvoir.
Le libertin qu’il était s’entoura de défenseurs fanatiques du rigorisme moral.
Le Cardinal archevêque de Paris, de Noailles, qui dirigeait le Conseil de conscience, auprès du Régent, entrenait une amitié avec Quesnel. « Le parti janséniste relève aussitôt la tête » (A. Bachelier).
Les évêques qui s’étaient abstenus de signer et de promulguer l’instruction pastorale triomphaient. Neuf sur dix de ceux qui l’avaient publiée, « saisis par un remords tardif » (A. Bachelier), proclamèrent que leur adhésion à l’instruction pastorale s’était faite sous condition, et adressèrent au Régent une demande de convocation d’un concile général.
Ce dernier usa de son pouvoir pour que le pape fournisse des explications sur la constitution.
La Sorbonne rétracte son décret d’acceptation.
Le 4 janvier 1716 la rétractation est confirmée à une forte majorité et les docteurs restés fidèles sont exclus.
« Il n’en fallait pas plus pour mettre en branle la Faculté de Théologie nantaise » (A. Bachelier).
Le 2 janvier 1716, la faculté annule son adhésion à une instruction diocésaine sur la bulle Unigenitus.
Gilles de Beauvau interdit à l’oratoire l’enseignement de la théologie, tandis que le Parlement et l’Université soutiennent les « appelants » (partisans d’un nouveau concile suite à la promulgation de la bulle unigenitus).
Ces mesures prises par Gilles de Beauvau furent très mal perçues par le clergé. Lorsque Jean de la Noë-Menard vint à l’Oratoire signer l’appel contre la bulle Unigenitus, il provoqua l’admiration de tout le clergé séculier.
Il mourut le mois suivant, le 15 avril 1717. A ses funérailles une grande partie de la population nantaise s’associa au clergé acquis au queneslisme.
Après sa mort on alla jusqu’à prétendre qu’il avait fait des miracles, les Jansénistes s’empressèrent d’en rédiger les procès-verbaux devant notaires.
Quant à Gilles de Beauvau, il fit appelle aux Sulpiciens pour diriger le Séminaire afin d’en renouveler l’esprit.
C’est au moment où les querelles étaient les plus vives qu’il mourut, le 6 septembre 1717, dans le dénuement le plus total, sa vie fut celle d’un homme charitable et bienfaisant.
Le zèle avec lequel il avait accepté la nouvelle constitution lui fit beaucoup d’ennemis dans cette citadelle janséniste qu’était Nantes.

Depuis 1532 aucun évêque n’était mort dans sa ville épiscopale, si bien que les cérémonies d’inhumation étaient totalement oubliée.
Gilles de Beauvau « fut enseveli sans honneur à la cathédrale », son corps fut descendu dans un caveau de l’église, par quatre soldats la pipe à la bouche.
« Le Chanoine de Sesmaisons fut la seule personne à assister à la cérémonie, faisant des prières à voix basse et à huis clos » (F. C. Meuret).
« On avait autrefois dit à Gilles de Beauvau, qu’il aurait la sépulture d’un soldat.
La prophétie fut justifiée par l’événement. » (L’abbé Travers, A. de la Borderie, F. C. Meuret)

Conclusion :

A Nantes, l’opposition entre les religieux restés fidèles à Rome, d’une part, et queneslistes, d’autre part, ne s’éteignit pas avec les disparitions de Gilles de Beauvau et Jean de la Noë-Ménard.
Elle perdura tout au long du XVIIIe siècle, même si à partir de 1728 la direction du séminaire fut, de nouveau, confiée aux sulpiciens, et que les évêques triomphèrent progressivement du jansénisme.
En 1791, la proportion de prêtres « appelants », étaient encore de neuf sur douze, sous la Terreur les religieux et religieuses nantais payèrent un lourd tribut en refusant la Constitution civile du clergé.
Lors de la séparation de l’église et de l’Etat, en 1905, la bourgeoisie, petite bourgeoisie et une part non négligeable des classes moyennes nantaises se retrouvèrent aux côtés des congrégations.
De même, en 1984, Nantes fut le théâtre de la plus importante manifestation au plan national, exceptée Versailles, pour la défense des écoles privées.
A l’heure actuelle, Nantes compte plusieurs églises dites traditionalistes, Saint-Louis, le Christ-Roi …

Notices sigillographiques :

D’après de Kersauzon de Pennendreff, Gilles de Beauvau fit usage de trois sceaux. « Le plus ancien, reproduit dans le volume de la collection Gaignières, porte pour timbre au-dessus de l’écu un chapeau à six houppes (1.2.3) de chaque côté.
L’empreinte d’un autre, apposé au bas d’une nomination au bénéfice des Guiberts, aliàs de l’Hospitau, dans l’église de Saint-Cyr-en-Rays, le 4 avril 1744 (collection de M. de la Nicollière), est ovale et mesure 0,030m sur 0,034m. L’écu est chargé des quatre lionceaux couronnés et du bâton écôté péri en bande (voir fig. 1); au-dessus se voient la crosse, la mitre, la couronne, [La crosse tournée vers la gauche nous renseigne sur l’appartenance de Gilles de Beauvau au clergé séculier, la couronne indique que Gilles de Beauvau était marquis du Rivau, titre que sa famille reçu en 1664] et le chapeau de dix houppes de chaque côté. Légende : OEG, DE BEAUVAU, NANETENSIS EPISC. SIGIL. SECRET.
Enfin la collection Parenteau possède une matrice fort bien conservée d’un troisième sceau orbiculaire, aux mêmes armoires que le précédent, avec la légende : GILLES DE BEAUVAU, EVÊQUE DE NANTES » (celle présentée ici).

D’autres supports figurent le souvenir de la famille de Beauvau. Potier de Courcy nous en présente un : « D’argent à quatre lions cantonnés de gueules, armés et couronnés d’or; aliàs : écartelé de Craon. Devise : Sans départir » (Tome I., page 59).

Paul Soullard a laissé l’empreinte d’un dernier sceau qui se décrit comme suit : « De Beauvau. / De Rochechouart-Mortemart. : D’argent à quatre lionceaux cantonnés de gueules, armés, couronnés et lampassés d’or. / Fascé nébulé d’argent et de gueules. » ( La branche du Rivau s’est fondue dans Rochechouard dans la deuxième partie du XVII ème siècle.)

Enfin, nous rappellerons qu’un jeton de noblesse présente l’union entre les Beauvau Craon et les Rohan Chabot.
Il évoque le mariage de Charles-Just prince de Beauvau (1720-1793), maréchal de France et Marie-Charlotte-Sylvie de Rohan Chabot.
Le Musée départemental Dobrée en conserve un exemplaire en cuivre dont voici le descriptif :

D/ Sur un manteau princier, deux bâtons de maréchal en sautoir soutenant un cartouche couronné et timbré des armes accostées de Beauvau Craon et de Rohan Chabot.

R/ dans le champ en 7 lignes, JETTON / DE MR LE / MARECHAL PRINCE / ET DE MDE / LA MARECHALE / PRINCESSE / DE BEAUVAU. A l’exergue, la signature BOMPART FECIT.

Bibliographie :

  • Meuret F.-C. : Annales de Nantes, tome II, Nantes 1837.
  • L’abbé Travers : Histoire civile, politique et religieuse de Nantes, tome III, Nantes 1841.
  • De la Borderie A. : Histoire de la Bretagne, tome V, Rennes 1913.
  • Bois P. : Histoire de Nantes de la Renaissance à la Révolution, Toulouse 1977.
  • De Kersauzon de Pennendreff : L’Episcopat nantais, Vannes 1892.
  • Bachelier A. : Le jansénisme à Nantes, Paris 1934.
Texte descriptif

(D’après l’article paru dans les Annales de la Société Bretonne de Numismatique et d’Histoire 2002)

C’est le 1er septembre 1679 que Gilles de Beauvau prit possession de son siège d’évêque de Nantes, après le consistoire tenu à Rome le 12 juin par le pape Innocent XI.

La famille dont était issu Gilles de Beauvau fut de tout temps attachée à la maison d’Anjou, dont la branche de Beauvau du Rivau fit souche en Bretagne et donna deux évêques de Nantes, quant à la branche de Beauvau-Craon, elle s’établit en Lorraine.

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